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GRANDGOUJON

— Buvons, les enfants ! Si ma pauvre maman vous voyait !… Vivent les Alpins !…

— Eh ! On t’emmène, hein ? dit l’un d’eux tout à coup. Tu nous f’ras rigoler !

Grandgoujon mit la main sur son cœur :

— Si je pouvais !

Il montra les pans de sa capote :

— Elle en a vu de dures aussi !

Puis il eut un frémissement, car il songeait qu’eux ils allaient repartir, que pour eux ce n’était qu’un répit, cette fête, et pour beaucoup qu’une griserie avant la mort. Les pauvres ! Quelle époque !…

Il y eut un ébranlement dans la colonne : elle se remettait en marche. Arme sur l’épaule. Coup de sifflet.

— Vivent… Vivent les gars ! cria Grandgoujon. Ah ! les braves gars !… Il y a un bon Dieu, allez, les enfants ! Les Boches m’ont tué ma mère, mais on aura la victoire… et la paix ! Et ça sera pour toujours !… Une dernière fois donnez vos quarts !

— Bravo, Grandgoujon ! lança Madame des Sablons.

— Vivent les femmes de France ! répondit-il.

Il vida encore des bouteilles, moitié dans les gobelets, moitié sur la chaussée.

— Emportez-le !… postillonnait Moquerard, trépignant sur le balcon.

Grandgoujon avait pris le pas des fantassins ; il marcha cinquante mètres avec eux.

— À r’voir ! cria Quinze-Grammes, du haut de son arbre. Bonne chance !