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GRANDGOUJON

par ces braves… qu’il adorait ! Ce matin-là, il se sentait fondre de reconnaissance ; il avait des larmes plein les yeux. Dans la foule, une voix cria :

— Eh ! Vieux Grandgoujon ! On r’connaît pus les amis !

C’était Quinze-Grammes dans un arbre, qui reprit, les mains en porte-voix :

— Pas moyen d’arriver chez toi… Fumiste, t’avais fait mettre des flics…

— Ah ! ce brave copain ! fit Grandgoujon, fougueusement. Je t’aime aussi, va, toi, et ma mère t’aimait… N’est-ce pas qu’ils sont épiques ?

Il montrait les soldats.

— C’est des lapins ! cria Quinze-Grammes.

Et les chasseurs riaient encore, buvant toujours.

L’air était chaud : il montait de cet échange d’amitié une énorme rumeur ; des gosses sautaient et dansaient ; sur tous les visages il y avait un rayonnement ; et les arbres, qu’animait une brise douce, balançaient leurs éventails de feuilles au-dessus de ces héros.

Grandgoujon, généreux, se laissait emporter comme un ballon dans le vent. Et à tous ses soucis d’homme mobilisé, à toutes ses questions de la nuit, il répondait carrément, avec force, en pleine rue, au milieu de l’armée, par l’éternel « Vive la France ! »

Et dès qu’il l’avait dit, c’était pour le répéter. Et il ajoutait : « Je deviens chauvin, moi, à voir tout ça ! La France, quel pays ! »

Jamais il n’avait vécu pareil jour. Il allait de l’un à l’autre :