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GRANDGOUJON

maient en l’entourant. Leur main droite soutenait une arme ; leur bras gauche portait une gerbe. Ils étaient à la fois comme la Guerre et la Paix. Grandgoujon, de son balcon, cria :

— Bravo les gars !

Mais derrière, déjà, les suivants arrivaient. On n’avait plus le temps d’admirer ; chacun aurait voulu voir mieux et plus loin ; chacun se dressait ; chaque tête remuait ; une fièvre agitait ce Paris assemblé, devant ces troupes plus étonnantes encore qu’il n’espérait. En face de chez Grandgoujon, une boutique de fleuriste fut vidée par vingt femmes qui payèrent sans compter ; elles avaient vu des fantassins couverts de roses ; elles voulaient que tous les autres en eûssent aussi ; la fleuriste donna ce qu’elles n’achetèrent point, et ce fut une pluie de fleurs sur les hommes qui défilaient.

Ils les méritaient bien. Ils étaient les plus grands et les plus courageux, choisis parmi tous pour montrer à Paris les drapeaux des armées, ils tenaient ces restes d’étendards-fantômes avec une raideur qui marquait leur pieuse émotion ; et le peuple, à la vue de ces drapeaux morts dans des mains vivantes, applaudissait, criait, secouait des cannes, des chapeaux, des éventails, et des mouchoirs.

— Bravo ! Bravo ! Ah ! quel pays que la France ! fit Grandgoujon qui, sur son balcon, s’agitait, et qui, le cœur emporté, commençait de transpirer à grosses gouttes.

Solennels, les officiers rendaient le salut à la