Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
GRANDGOUJON

Alors, il y eut un remous et du tumulte. On eût dit deux marées qui s’affrontaient. Puis, en grondant, elles refluèrent ; on vit Montrouge remonter, se tasser, et cette foule aux mille pieds s’arrêter, immobile. Personne, soudain, n’osa plus bouger, par peur de perdre sa place ; seules, des mains remuaient, éventant les visages ; un vaste bourdonnement monta de ce peuple ainsi massé ; le ciel continuait d’être gris et modeste ; il y avait une immense attente dans l’air et dans les cœurs.

Et ce fut tout à coup, légère et surprenante, qu’éclata la fanfare des troupes qui s’en venaient de la bataille.

Pour dominer le murmure de mille bouches qui parlent à la fois, il faut que les clairons et les tambours soient proches : quand on les entendit, c’était qu’on les voyait. Les pieds se dressèrent, les cous se tendirent ; les hommes levèrent les mioches sur leurs épaules ; et l’on vit en effet, entre ces Parisiens, vieillards, femmes, enfants, qui s’écrasaient pour leur laisser le passage, on vit paraître les Soldats.

Il se fit un silence poignant. Grandgoujon souffla au petit : « Vois-tu bien ? » Et à cette minute solennelle, Mariette, dont il ne savait plus rien, Mariette, humble et les yeux baissés, se glissa sur le balcon, bredouillant : « Monsieur permet ?… »

Il répondit :

— Les voilà. Vous arrivez à temps !

Lentement, en tête, s’en venait la Légion étrangère, le corps des héros qui ne disent pas leurs