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GRANDGOUJON

aussi ? Mais il se dit : « Je serai plus fort en restant. »

Brusquement il éternua, et, soulagé :

— Et puis… je ne veux plus m’occuper d’histoires de femmes ! Si je me décidais pour une, j’aurais tout de suite envie d’une autre. Quels yeux avait cette petite d’hier soir ! Et un cou de tourterelle ! C’est tout de même épatant, ce monde du théâtre !… Ah ! sans la guerre, la vie était riche : il n’y avait qu’à regarder pour aimer.

Il continua avec l’enfant :

— Tu t’amuses ?… Sacré petit bonhomme, dis-le donc !… Tu es là, hérissé comme des margottins… Nous n’allons pas vivre ensemble sans parler ? Je te fais peur ?… Je suis trop gros ? Mais j’ai maigri, mon vieux ! Et ton cochon d’Inde, qu’est-ce que tu en as fait ? Il faut l’amener : ça va l’amuser, lui aussi, de voir des soldats.

Dans la rue, des camelots parurent, vendant de petits drapeaux, que les hommes glissaient dans leurs boutonnières et que les femmes épinglaient à leurs corsages. Le Paris de la rive gauche, Vaugirard et Montrouge, d’un pas alerte, dans une rumeur de voix, descendait vers la Seine et le boulevard Saint-Germain. Des grands-pères entraînaient des moutards ; et les mains rapprochées avaient le même frémissement, car les vieux couraient voir des gars comme leurs fils, et les petits des soldats pareils à leurs pères.

Mais la rive gauche, qui se hâtait au-devant des armées, rencontra la rive droite, Belleville et Ménilmontant, qui s’empressait en un élan pareil.