Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
GRANDGOUJON

— Indulgent… mais… je ne tiens plus à être une poire…

Sur cette image, il s’arrêta :

— Ce chameau de Moquerard dirait que je me bourre le crâne à moi-même… Qui sait ?…

Il se remit à fumer :

— La pensée, ça m’a l’air d’une telle blague !

De nouveau, il regarda les étoiles :

— Dans un monde… où il y a tant de mondes… qu’est-ce que vous voulez piger et juger ? Ma pauvre mère, quoique en disent quelques sales gens, c’est un doux souvenir qu’elle soit morte… en riant. Nous n’étions pas faits pour avoir encore une guerre de Boches sur le dos, surtout moi, à quarante ans : je suis juste entre deux guerres. Et je ne sais pas si c’est la finance internationale ou les métallurgistes qui ont décidé cette fripouillerie, mais ce sont de rudes cochons ! L’orgueil toujours, et l’intérêt ! Qu’est-ce qui peut les intéresser dans l’intérêt ?… De quoi manquait-on ? Ah ! je n’avais pas envie d’un morceau d’Allemagne, non merci !… Mais ils nous haïssaient, ces messieurs… Tout de même quand on en tient un… Si j’avais eu vingt ans !… Quand j’en aurai soixante, je parlerai aux jeunes gens… Cette fois je suis trop vieux pour agir, pas assez pour causer !

Il s’enfonça dans son fauteuil :

— Ça serait pourtant fameux de vivre sans avoir d’ennemis !… Cette Mariette, quelle buse ! Elle ne m’aurait jamais reparlé, je ne l’aurais peut-être jamais remarquée. On a les nerfs à fleur de peau avec ces Boches. Vermine !…