Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
316
GRANDGOUJON

Mais Grandgoujon sourit, montrant, au contraire, son extrême politesse envers une personne dont les yeux lui donnaient du ravissement. Et songeur, la regardant :

— Depuis une heure, Mademoiselle, ce gosse n’a dit que trois mots. Il sera un petit français plein de sens.

— Comme c’est délicat, dit Moquerard, de tirer cette conclusion devant l’épouse en justes noces de Monsieur Punais, conférencier connu !

Et il dardait des yeux de dragon sortant de son antre.

— Oh ! Madame des Sablons me comprend ! reprit Grandgoujon. Il y a une lassitude générale ; nous ne croyons plus à ce qu’on nous dit, et nous ne savons plus ce que nous faisons.

— Parle pour toi ! fit Moquerard.

— Pardon !… dit Grandgoujon. J’ai cru d’abord que cette guerre nous ferait participer tous à la vie de la nation.

— Qu’est-ce qu’il veut dire ? demanda tout bas Mademoiselle Dieulafet, de l’Odéon.

— Crois-tu, chérie ma blonde, qu’il le sache ? dit Moquerard.

— Pardon, pardon !… reprit Grandgoujon.

— Peut-on servir les côtelettes glacées ? demanda Eugène.

— C’est prêt ? dit Grandgoujon. Servez chaud !… Et surtout des assiettes tièdes !… Vous allez voir : c’est prodigieux !… Poilu… ça va ?

— Ah ! dit le soldat, c’que j’rigôle !

— Alors, il faut boire, dit Grandgoujon. Eugène,