Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
GRANDGOUJON

dessous. Un point à la ligne : la petite histoire est finie !

À cette longue tirade, Grandgoujon ne répondit rien. Il était joué. Il prit la carte.

Dans ce restaurant régnait une délectable odeur de sauces, tournées et longuement cuites. Grandgoujon s’adressa aux dames :

— Mesdames, ici il ne faut pas chercher des titres surprenants… Tout est grand mais simple. Omelette au fromage. Ça n’a pas l’air lyrique : c’est tout un poème !

— L’admirez-vous bien ? cria Moquerard, prenant le bras des deux femmes… La salive lui vient déjà !

— Pas encore, dit Grandgoujon, se recueillant… À vrai dire, il faudrait commencer par la visite de la cuisine et de la cave. Quand je n’étais pas en deuil (il soupira), j’aimais faire un tour à la cuisine, où dans une buée nourrissante et suave on épluche, on hache, on fait mijoter, et… (il ferma les yeux d’aise) et à la cave, où dans l’ombre, dorment tous les jus de nos vignes, cuits au soleil de France !

À cette peinture, le soldat s’épanouit. Grandgoujon reprit :

— La cave, ici, Mesdames, c’est toute la Bourgogne, la Champagne, le Bordelais, l’Anjou !… Mené par le patron, j’ai goûté à tous les tonneaux…

— À tous ? fit Moquerard.

— Et c’est prodigieux ! dit Grandgoujon se gonflant. Un voyage circulaire bachique !

Ce souvenir lui modelait un heureux visage.