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GRANDGOUJON

Son sourire se raidit, mais Moquerard gesticula, l’appela, et présenta : « Mademoiselle Dieulafet, de l’Odéon… et sa sœur. » Puis il dit :

— Avec ton soldat et ton enfant, siste-toi à notre table ; ces dames te chérissent, mon chéri !

— C’est vrai, Monsieur, dit sérieusement Mademoiselle Dieulafet, j’ai bien pris part à votre chagrin… c’était si affreux, au moment où on s’amusait…

— Mademoiselle, vous êtes gentille, soupira Grandgoujon attendri ; mais c’est la vie…

— La vie, reprit Moquerard, exige, hélas ! aussi qu’on se sustente avec force mangeaille ! Nous avons résolu de bouffer ce soir à nous en crever le péritoine ! Tu vas, cher officier de bouche, nous composer un menu.

Et, aux deux femmes, parlant dans le nez, il annonça :

— Chères âmes, cet homme bien en chair est sublime comme dégustateur et ordonnateur de grands repas. Vous allez le voir commander !

— Ne te fiche pas du monde, dit Grandgoujon, d’ailleurs flatté.

Mais il regardait fixement les manches de Moquerard.

— Qu’est-ce que j’ai ? dit ce dernier. Des trous ? Des taches ? Ou cherches-tu mes galons ?

Grandgoujon affecta de sourire.

— Ah ! s’écria cyniquement Moquerard, je te paie un tour de chevaux de bois dans mon pays si tu les découvres !

— Combien en as-tu ? bredouilla Grandgoujon.