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GRANDGOUJON

compte comme vous ; aussi ai-je adopté la méthode de la tête de mule et de la nullité simulée.

Madame des Sablons se leva :

— Je vous approuve.

Elle alla respirer à la fenêtre. Tous deux étaient arrivés à cet état curieux, où l’on dévide des paroles fortes et colériques, qui se poussent les unes les autres, sans apparente liaison, mais tous deux avaient de secrets penchants qui ne leur correspondaient en rien. Elle, était fort troublée, et lui, sur le divan, prenait des coussins et les écrasait l’un contre l’autre, comme pour simuler une étreinte. Elle lançait des mots fiévreux : lui enchaînait des raisonnements difficiles ; et tous deux n’auraient voulu parler que d’eux-mêmes. Mais quelle que fût l’obscurité tumultueuse de leur dialogue, le soleil éclairait tout. Il dorait le sommet des arbres qu’on voyait par la fenêtre, entre deux immeubles ; il inondait le boudoir d’une chaude lumière rougeâtre ; Madame des Sablons avait sur le visage le reflet empourpré de ce soir de juillet ; et Grandgoujon, dans un émoi qui lui coupa deux fois sa phrase, s’écria :

— Que ma mère… eût aimé… cette soirée !

— N’est-ce pas ? reprit Madame des Sablons.

— C’est là que sont les vraies joies : dans les choses éternelles !

— Je sens comme vous.

— La lumière… ça c’est beau… ça dure… ça recommence !

— Et vous savez bien le dire.

— J’ai su autrefois … Ma femme… car j’ai eu