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GRANDGOUJON

horriblement pâle. Ce n’était pas que de chagrin : il venait de songer qu’on avait mis sa mère en bière sans une photographie de son mari que, toujours, elle avait réclamée. Que faire ?

— Ces messieurs de la famille… appela l’homme des pompes.

Il suivit.

À l’église il pleura de chaudes larmes. L’ordonnance de la messe et la musique lui parurent belles ; et il vit là une preuve que la société, parfois, se distinguait par une tendre bienveillance. Mais comme la mémoire humaine est incongrue, durant cette pieuse cérémonie, il lui revenait, sans qu’il pût l’empêcher, la vision du clown aux œufs et de sa mère s’étouffant. En sorte qu’il éprouvait des émotions mêlées.

Moquerard, au défilé, lui dit :

— Ma sacrée blessure se rouvre… Je ne peux pas aller au cimetière.

Grandgoujon répondit :

— Merci… Brave vieux, va !

Et il l’embrassa. Il se sentait entouré et soutenu ; de l’église au Père-Lachaise il marcha l’œil sec, d’un pas presque léger.

Derrière lui, Monsieur Poisson, son cousin, causait avec Monsieur Punais. Il disait d’une voix vulgaire :

— J’ai réussi, cette année encore, à avoir du bon vin rouge pas cher. Mon marchand a des stocks et, pour moi, n’a pas majoré ses prix ; mais, comme il m’a dit : « Les nouveaux venus, gare ! » D’un sens, écoutez donc…