Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
GRANDGOUJON

En vérité, le mari de la nièce, Monsieur Poisson, était timide et effacé, mais sa femme, auprès de chacun, se chargeait de faire avec éclat son éloge. Elle affectait, entre temps, une peine pathétique de la mort de cette tante qu’elle n’avait pas vue depuis cinq ans, mais qu’elle disait aimer plus qu’une mère. Dix fois par heure, elle rentrait dans la chambre obscure de la morte et inondait le corps et le lit d’eau bénite, en poussant des soupirs.

Grandgoujon qui, comme toujours, avait commencé par la confiance et la bonhomie, eut besoin d’une journée pour s’apercevoir de ces façons singulières et s’en énerver. Puis, la concierge et les boutiquiers firent demander la permission de voir une dernière fois Madame, et ce défilé l’irrita. Il sortit encore faire un tour. Enfin, il dut prendre deux repas avec ses cousin et cousine, et ce fut, au dessus de plats servis froids, une conversation haineuse, coupée de silences, hérissée de pointes d’aiguilles, mesquine et laide, sur les deux plus grandes douleurs des hommes : la guerre et la mort.

L’enterrement, d’avance, abattait Grandgoujon, l’idée surtout de promener sa douleur publiquement. Au contraire, la nièce surexcitée, disait : « Vous me présenterez ? » et elle parlait avec emphase de son voile et de sa couronne. Sa couronne était une horrible chose en perles et celluloïd qui, tout le temps du trajet, secouée par le corbillard, fit un bruit grésillant et détestable.

Quand le cortège s’ébranla, Grandgoujon était