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GRANDGOUJON

Le clown apportait un panier d’œufs. Il en saisit un, et, montant sur un tabouret, il le laissa tomber sur une assiette, par terre.

— Ah ! s’exclama le public.

Mais le rire général fut suspendu par une surprise, car, au lieu de faire floc, l’œuf fit pan et, intact, cassa l’assiette. Stupeur ; puis le rire reprit, plus nourri et plus large ; et le clown dit simplement :

— Ho ! Ce était œuf dur !

Grandgoujon étouffait, Moquerard trépignait. Il se jeta au cou de Mademoiselle Dieulafet, de l’Odéon :

— Chère âme, que je t’embrasse !… Madame Grandgoujon, vous permettez ?… Je vis l’heure la plus belle de ma vie… Jamais je n’eus jouissance pareille, même à la Gômédie Françoise !

L’air de la salle s’échauffait. Chaque groupe de spectateurs s’animant, c’était une mêlée des joies particulières.

Lentement le clown fit trois tours de piste. Il marchait en canard. Quand il passait devant ses œufs, il les regardait avec hauteur. Et soudain, les laissant, il sortit.

Alors, ce fut le clown-musicien qui reparut. On lui avait extirpé sa flûte ; mais une fantaisie nouvelle était née sous son crâne absurde. Il arrivait avec trois chaises, les superposa en équilibre sur son front et ne se livra de nouveau aux délices de l’exécution musicale qu’avec cet édifice sur la tête. Le délire de Moquerard recommença. Grandgoujon, débordant, s’était écrié :