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GRANDGOUJON

avait lâché une étonnante fausse note. Aussitôt, un de ses confrères en clownerie accourut des coulisses et, sur la nuque, lui appliqua, pour le punir, une claque à tuer un bœuf : la flûte entra dans la gorge du flûteur affreusement, jusqu’aux dernières ouvertures, mais ses doigts, d’eux-mêmes, se trouvèrent alors sur celles-ci, et héroïque il s’en servit pour émettre un son rauque, deux lugubres notes pareilles au cri d’un chien écrasé, avec lesquelles il s’enfuit en boitant.

Grandgoujon ne se contint plus. Il affectait un air féroce, et debout pour applaudir, bredouillait :

— C’est énorme ! C’est prodigieux !

Puis il héla Moquerard :

— Viens donc, qu’on se torde ensemble !

L’autre ne se fit pas prier. À la joie des spectateurs, il fit mine d’enjamber sa loge, comme pour s’envoler par-dessus la piste. Puis, il se résigna, retenu par son amie ; mais au lieu de sortir dans le couloir et de tourner la salle extérieurement, il se divertit à suivre tout un rang de spectateurs, et, avec des grimaces, des semblants de chutes, mille singeries, fit lever quatre-vingts personnes, faisant ainsi le bonheur de tous, surtout des enfants, qui trépignaient, croyant à un troisième clown dans la salle. Il tirait après lui sa compagne cramoisie, qui n’en pouvait plus de rire, et… de près, Grandgoujon s’aperçut que ce n’était pas Mademoiselle Nini.

Moquerard fit un grand salut à Madame Grandgoujon, puis présenta : « Mademoiselle Dieulafet,