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GRANDGOUJON

jour, il rencontra un camarade, médecin, et comme il geignait : « Ah ! je ne ferai pas de vieux os !… »

— Qu’est-ce que tu ressens ? dit l’autre.

— Des pesanteurs.

— Où ?

— Partout.

— Respires-tu bien ?

— Tout juste.

— Es-tu sûr de ne pas avaler de l’air ? C’est fréquent chez les gros… quatre-vingt dix pour cent sont aérophages…

— Aérophages ?

— Étudie ta façon de respirer. Est-ce que l’air ne te file pas dans l’estomac ?

— Peut-être…

— As-tu le ventre dur ?

— Assez.

— Eh bien tu dois avaler de l’air.

— Sapristi ! Alors ?

— Vois un spécialiste.

Il lui laissa une adresse.

Grandgoujon, qui n’avait jamais avalé de l’air, s’observa et, cherchant à voir s’il en avalait, en avala. En sorte qu’à bref délai il devint aérophage, et bientôt ressentit les troubles annoncés.

Désormais, il n’eut plus besoin de prendre des mines d’homme souffrant. Et persuadé qu’il l’était, il s’alarma.

C’était l’époque farouche de l’offensive contre Verdun, mois d’hiver hideux, où tout ce qui avait un cœur en ce pays souffrit mille morts. Grand-