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GRANDGOUJON

— Bouchon, ma pauvre mère, dans cette folie qui possède l’humanité, je ne suis qu’un bouchon… et un bouchon triste. C’est fini ; je ne sais plus réagir. Il y a un an, si un bougre avait seulement « voulu » me fourrer dans un cabanon, je l’aurais, en deux temps, envoyé rejoindre ses bisaïeux !

À cette idée, il transpirait et ajoutait :

— Aujourd’hui, je me résigne, je flotte, et je m’accroche quand je peux. Je me fais l’effet de ces clowns, qui reçoivent des claques formidables, puis ils rigolent, dès que c’est passé… Au fait, aurais-tu envie de voir des clowns ?… Si nous allions au cirque ?

Grâce à Quinze-Grammes, Grandgoujon avait dans sa poche une première permission de sept jours. Il dit à sa mère : « Je les passe au cirque tous les sept… avec toi. Ça va ? »

Elle voulait tout comme lui, le trouvant intelligent et original. Et quoiqu’elle fût bien lasse et qu’elle se plaignît d’étourdissements violents, pour le détendre, elle le suivit au Nouveau Cirque.

Ils prirent une loge ; ils s’y installèrent à leur aise ; et, d’abord, ils regardèrent, sans mot dire ; il y avait si longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus en ces lieux comiques ; il fallait ce désarroi de leur vie. Mais d’être assis devant cette piste sablée, dans cet air qui sentait le cheval, en face de rangées de gosses et de soldats, fit sourire Madame Grandgoujon, qui dit :

— Sommes-nous enfants !

— C’est la guerre ! affirma Grandgoujon.