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GRANDGOUJON

firent songer à Madame des Sablons et à sa grâce singulière, et, de ce fait, il contempla le garde avec des yeux presque tendres.

Mais il redevint irrité pour dire :

— Je ne peux même pas faire mes besoins, n’est-ce pas ?…

— Si. Avec moi, dit ce philosophe.

Cette humiliation dura jusqu’au jour. Quand l’aube ajouta sa mélancolie à la détresse de Grandgoujon, se coulant, tâtonnante, par l’ouverture de la cellule, deux infirmiers vinrent l’expulser pour le coucher dans un dortoir à peine éclairé, et où il y avait de vrais fous. Un à droite, avait voulu jeter par la fenêtre une bonne sœur dans un hôpital de province ; un à gauche, bavait dans des contorsions ; un en face, plus doux, disait soixante fois par heure : « Je suis le général en chef ; vous en faites pas ; on les aura ! » Les infirmiers s’esquivèrent. Grandgoujon passa une heure redoutable, mais il fut courageux. Il tenait le fou de droite, essuyait le fou de gauche, souriait au fou d’en face. Quand les infirmiers reparurent, il soupira : « Enfin, vous ! »

— Quoi, nous ? Tu peux pas laisser ces clients- tranquilles ? Ça te regarde ? T’es docteur ?

Il se recoucha, atterré. Vers neuf heures, le major qui avait dit de lui : « Alcoolique, quatrième fiévreux », passa en coup de vent pour la visite. Hautain, il demanda : « Quoi de neuf ? » Grandgoujon alors, se leva sur son séant, et la mine raisonnable, mais la voix vengeresse, devant les infirmiers qui lui faisaient signe de se taire, il