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GRANDGOUJON

laissa glisser sur le sol, le dos contre le capitonnage du mur, et il essaya de réfléchir. Était-il victime d’un complot ou de la simple imbécillité sociale ?… Parbleu ! Cette aventure était la suite logique de sa vie malitaire, insensée… On ne pouvait rien en espérer. Candeur que ses projets ! Aussi, très vite, et tristement, il décida de ne plus faire aucun bruit, car il ne devait, de la sorte, qu’aggraver son cas. Tous les quarts d’heure, donc, il vit sans irritation le nez du garde passer dans le judas, comme si ce dernier avait l’ordre de constater la progression de sa folie. Puis, dans le même judas, défilèrent des civils, une dame surmontée d’un chapeau riche en plumes, et un vieux monsieur décoré qui, conduits par un major, visitaient les soldats fous comme les bêtes dangereuses d’une ménagerie.

Grandgoujon, d’un fond de poche, avait tiré un indicateur des chemins de fer. Il l’ouvrit, il lut des heures et des noms, et un instant oublia presque, emporté par son imagination qui le faisait voyager.

À la nuit, comme il somnolait, nez sur ses genoux, un garde ouvrit, entra avec une lanterne, et lui apporta un pot en terre, rempli de lait. Grandgoujon avidement but à même le pot, qu’il tenait à deux mains, et des images lui revinrent en mémoire, d’une Histoire Sainte de son enfance, représentant des chameliers qui buvaient ainsi, dans des pots pareils, à la fontaine ; mais auprès d’eux, de belles juives attendaient. Ces femmes, pour la première fois depuis son malheur, le