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GRANDGOUJON

un flacon, cracha, s’essuya, brossa sa moustache, ressortit, et, léger, bondit sur l’estrade.

À son premier geste, aux mots de son début, à sa douce intonation, à la câlinerie de son regard, on eût dit qu’il commençait une causerie sur le printemps ou les amours d’un jeune poète, emporté à la fleur de l’âge, et c’est précisément à Paris ce qui ravit les femmes et le monde : l’élégance facile à parler en souriant d’une horrible tragédie. « Qui vive ? France ! » Ce titre était pour alerter les dames, les jeunes gens réformés, les vieux militaires. Le vrai but de Monsieur Punais des Sablons était de décider ses auditeurs à la création de cantines qui, non seulement seraient du ravitaillement, mais des « foyers d’union sacrée ». Et ce projet philanthropique lui offrait l’occasion de tracer un portrait vibrant du soldat français.

Grandgoujon, naïvement ému qu’on l’eût consulté, n’avait plus de rancune, écoutait des deux oreilles, et pensait dans un élan de bienfaisance sociale :

— Pourquoi à moi aussi l’armée ne me fait-elle pas faire des conférences ?

Il aurait pu être un propagandiste généreux. Puis son cœur battit fort, quand il entendit Monsieur Punais lancer ces mots :

— Un poilu, Mesdames, un authentique poilu, me disait tout à l’heure : « Nous volons à l’assaut, avec la conscience de combattre pour le Droit et la Civilisation ! » Et un de ses compagnons de misère, photographe ambulant, prenait en toute