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GRANDGOUJON

toujours sous pression. Avant la conférence Punais, elle eut la malice de l’égayer par un déjeuner plein de surprises. Puis, bras dessus bras dessous, ils s’en allèrent. Elle évoquait, en marchant, des souvenirs drôles du passé : il riait. Mais dès qu’on arriva, il se rembrunit :

— Tout ça histoire ancienne ! Nous ne sommes pas prêts de pouvoir nous offrir trois mois de vacances à nous tourner les pouces, avec de bons amis. Quelle purée !… Je te laisse.

— Oh !

— Rejoins la femme de l’illustre orateur. Moi, je reste près de la porte.

La conférence avait lieu non loin de Saint-Germain-des-Prés, dans une salle habituée à ces monologues oratoires, devant une noble bourgeoisie, exercée par éducation à des applaudissements de convenance. L’ordinaire clientèle de ces exercices animait donc le trottoir, devant la maison. On se reconnaissait, on s’abordait, on papotait. Il n’y avait pas trace de Garde Républicaine, mais on continuait d’annoncer un ministre. Déjà étaient arrivés un colonel, représentant le Gouvernement Militaire de Paris, et un Monseigneur in partibus, aux gants d’un violet violent. Ils s’étaient posés dignement sur l’estrade.

Sur cette estrade, où l’on n’avait accès que grâce à des cartes spéciales, étaient rangés aussi une dizaine de vieillards fatigués, mais dont l’aspect fort digne montrait qu’ils nourrissaient l’illusion d’avoir encore quelque importance dans ce pays en guerre. Et auprès de cette estrade, des dames