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GRANDGOUJON

défendant d’être lâche ; parfois même il s’attendrissait, s’imaginant au combat ; une balle le touchait ; il allait mourir ; alors, lui aussi prononçait des mots valeureux qui faisaient pleurer les camarades, et un frisson lui passait à se figurer seulement cette misère et cette gloire.

Il est vrai que quand à ses repas il n’avait bu ni un pousse-café, ni quatre pleins verres de vin, ses pensées étaient plus plates. En ami le surprit un jour par cette formule : « Il faut être ce qu’on est, — sans chiqué ! » Il bredouilla : « Très bien ! Oh ! ça c’est juste : il faut être… ça c’est très bien ! » Et il en conclut qu’étant gros… il se devait de rester tel.

Aussi, quand vers la fin de décembre 1914, il se présenta devant les majors, et que pesant ses cent trois kilos il fut pris simplement comme auxiliaire, il en eut du bonheur et de la fierté, car il était sûr de ne pas être tué, mais il servirait quand même. Aucun fait d’armes, pas de croix ni de médaille, mais il serait un serviteur obscur du pays ; et comme il était expansif, en payant dans un tramway, il expliqua au conducteur :

— Vous, vous n’êtes plus mobilisable ! Mais vous faites votre devoir… pour vos enfants…

— Ai pas d’enfants, dit le conducteur.

— Pour votre femme…

— Oh ! ma femme !…

— Enfin, vous tenez ferme à votre poste !

— Places, siouplaît.

— Moi, c’est pareil : j’ai quarante ans…

Une femme le regarda :