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GRANDGOUJON

rieux Laboulbène. Suis-moi, et n’aie pas le trac. Tout ce qui éclate, camelote, puisque c’est en miettes tout de suite. En route !

Grandgoujon suivit, agité de mouvements convulsifs. Et il guettait le ciel, comme si les marmites avaient une trajectoire visible aux yeux.

Ils rentrèrent dans le boyau.

— Songe, dit le méridional photographe, que tu t’effares, mais que tu ne vois presque rien. Que serait-ce, si tu avais des yeux de rat ou de coléoptère ? On dit …

Djjj… Bang ! Ah ! cette fois ce fut un écroulement de tout un pan du couloir. Un bloc de terre renversa Grandgoujon et l’enterra jusqu’au cou, mais la tête passait, criblée de petit grains. Il serra la bouche, il ferma les yeux, il avait la face crispée. Alors Laboulbène, la pipe au bec, dit d’une voix lente et essoufflée (entre ses mots on entendait la terre s’effriter) :

— Dire… que si tu avais claqué… ça n’aurait même pas fait d’avancement dans l’armée française !

Puis il le dégagea, le secoua, le gratta. Grandgoujon haletait :

— C’est fou !… fou et criminel… contre des engins pareils… de poursuivre la lutte !…

Et, dans sa panique, il jeta le mot des héros qui donnent leur vie :

— En avant !… En avant !…

Mais l’héroïsme dépend du sens dans lequel on se fuit soi-même. L’autre avait peine à le rattraper, et ricanait :