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GRANDGOUJON

Puis… dans une première panique, pour se défendre, instinctivement, à cet ordre il opposa la première objection que sa cervelle lui offrit :

— Aux lignes… c’est que… je ne suis guère chaussé pour les lignes…

— Guère chaussé ?… Qu’est-ce à dire ? fit le lieutenant. Vous êtes chaussé, ça suffit.

Grandgoujon insista :

— Mes semelles prennent l’eau…

Alors, le lieutenant de ricaner :

— Ah ! Ah ! Celui-là !…

— Pardon, mon lieutenant, reprit Grandgoujon, qui, à cette minute, connaissait la vraie peur, c’est que… je suis auxiliaire.

— Et après ?

— Je… me permets cette remarque… balbutia Grandgoujon, parce que… c’est interdit aux auxiliaires…

— Quoi donc ? dit le lieutenant. Mais… je n’ai jamais vu une pareille frousse !

— Ce… ce n’est pas la frousse, protesta Grandgoujon. J’étais avant-hier sous les bombes à Nancy…

— Alors ?

— Mon lieutenant, c’est interdit.

— Mais quoi, bon Dieu !

— Une circulaire défend d’assimiler les auxiliaires…

— Laboulbène ! appela le lieutenant d’un ton sec, emmenez-moi ce numéro que je ne le voie plus, et si, en route, il crève de peur, enterrez sur place, et qu’on ne m’en reparle jamais !