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GRANDGOUJON

— Ça a été affreux ! On marchait dans les amis ! T’as bien fait d’pas êt’e là : tu s’rais macchabée… J’sais point comment qu’j’en suis sorti : j’en ai encore peur dans les os, et j’aimerais mieux d’y être resté !

Cette scène hérissa Grandgoujon. Il se leva, s’approcha ; mais un train pénétrait sous le hall brutalement ; les deux hommes, égarés, se précipitèrent et s’y hissèrent, et Grandgoujon, seul, une carte à la main, écrivit à sa mère : « C’est terrible… mais je suis sain et sauf. Grandgoujon. »

Une heure après, il partait pour les armées de la Somme, et il avait le cœur brûlant, tantôt de terreur, tantôt d’ardeur.

Cette fois, on avait accroché son wagon à un train omnibus ; il monta en compagnie de sa girouette, en troisième, parmi des marchands ambulants, paisibles, qui allaient vendre leur camelote dans des villages du front : papier à lettres, gâteaux de Savoie, bougies, gruyère, et des livres, depuis Les Vampires par on ne sait qui, jusqu’à des extraits de Mémoires du Duc de Saint-Simon. Un gendarme grimpa pour viser les passeports. Il leur dit dans le nez :

— Ah ! les pépères ! Vous allez en remplir un bas de laine, par là ?

— Bas de laine, grommelaient les marchands, au prix qu’est la laine !

C’étaient de si calmes conversations que, de nouveau, Grandgoujon s’apaisa. On allait vers le front, mais peut-être pas exactement où on se battait. Il demanda, très poli :