Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
GRANDGOUJON

crayon, il cherchait une idée, lorsqu’il vit deux soldats s’aborder et l’un dire :

— Alors ?… Rien de neuf ?

— Ah !… Ah ! pauv’vieux ! gémit l’autre.

— Quoi donc ?

C’étaient deux bougres sans âge, couleur de boue, avec cet aspect pesant et misérable que leur donne tout un bagage qui les gonfle ou les ficèle. Ils se regardèrent dans les yeux, et le second reprit, étranglé :

— Pauv’vieux, on a fait l’attaque.

— L’attaque ?

Une machine lâcha sa vapeur avec impétuosité. Une buée les enveloppait. Assourdi, étourdi, l’homme haleta :

— Et l’en reste pus, t’entends, l’en reste pus !

— Qu’est-ce tu dis ? fit l’autre.

La machine s’arrêta net. Alors, d’une voix étouffée, le premier reprit :

— Laurent, Pineau, Thorel, Michon, tous ils y sont restés !

— Mais qu’est-ce tu dis ?

— Et le petit Lapompe, et le gros Bénard, et tous enfin…

Avec sa dernière phrase, un sanglot montait à sa bouche, et l’autre était si figé par un affreux étonnement, qu’il répétait :

— Qu’est-ce tu dis ?… Mais qu’est-ce…

L’homme qui revenait de la bataille tremblait de livrer ainsi des nouvelles qui leur brisaient le cœur à tous deux ; et il reprit avec des larmes sur la rude peau de ses joues :