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GRANDGOUJON

Le jour de la mobilisation il dit à Grandgoujon, la main tendue :

— Alors, ça y est ? Les veaux !… Préparaient ça depuis quarante ans… Je vous la souhaite bonne et heureuse.

Grandgoujon, éploré, crut que cet adieu voulait dire : « Moi je pars » et que, malgré ses cinquante-trois ans, il s’engageait. Grandgoujon allait balbutier des encouragements, quand l’autre continua :

— Si par hasard vous n’êtes pas tué, mon vieux, le lendemain de la paix ramenez-vous. Et il y aura du boulot, car les héritiers vont s’assassiner sur leurs morts. Quelle graine à procès ! Ah ! les veaux !… Maintenant, si vous êtes tué…

— Patron… bredouilla Grandgoujon, qui voulait dire : « Je suis réformé… »

— Oui, reprit Creveau, la veine ?… On ne peut pas espérer grand’chose.

— Mais, patron…

— Je sais : ça ne va durer qu’un mois.

— Vous croyez ?

— Dans trois semaines, ces veaux-là n’auront plus le sou. Économiquement c’est une blague. Mobilisation générale, pays arrêté : un mois, je suis précis.

— Alors, écoutez patron…

— Pas d’attendrissement ! Tirez bien, tâchez de ne pas crever, et au revoir, mon vieux ! Le lendemain de la paix, à neuf heures, comme d’habitude. Je vous la serre.

Grandgoujon, qui n’avait jamais eu qu’à écouter