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GRANDGOUJON

Grammes, t’exagères, vieux Charles ! T’es encore qu’un type qu’on a mis du poil dessus !

Puis, tout de même, il le regarda avec bonhomie :

— Enfin, ça sort, ça pousse…

Et il s’en alla, l’encourageant de loin.

— Chameau ! murmura Grandgoujon.

Mais ce n’était pas à Quinze-Grammes qu’il pensait ; c’était à Moquerard.

Il recourut à Noisy. Deux jours il erra sur les voies. Le premier, il fit la connaissance d’un convoyeur qui était dans les assurances et qui savait « des choses ». Cet homme au courant lui apprit quelques nouvelles secrètes : que depuis huit jours Munich était coupé de toutes communications ; que le gouvernement français avait livré aux Russes un dirigeable hors d’usage ; et qu’enfin c’étaient des espions boches qui avaient fait sauter Lord Kitchener et son bateau.

Toutes ces révélations accablèrent Grandgoujon, nature encore généreuse, et, dans sa lassitude, l’incitèrent à trouver avant tout un gîte confortable pour dormir et oublier. Il le dénicha dans un antique wagon de première, relégué sur une voie de garage. Mais un agent le moucharda, et au petit jour l’officier de gare vint l’expulser et prit son nom, criant, dans sa colère, qu’il ne pourrait même pas écrire ce qu’il avait vu : « puisque ce répugnant personnage avait fait ses besoins à même le compartiment ! »

À ces mots, Grandgoujon regarda stupide autour de lui, distingua une mare sous la lampe