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GRANDGOUJON

cier vulgaire, éclatant dans sa culotte et son col, sanglé d’un ceinturon, avec un revolver comique qui lui battait les reins. Il souffla, comme s’il sortait de l’eau :

— Compagnie Z ? Pas ici : repartie.

— Comment ? fit Grandgoujon.

— Repartie d’hier… Venez-vous de Noisy-le-Sec ?

— Oui, je viens…

— Refilez-y. Et j’ai un wagon que je vais vous confier en même temps.

Le gros officier se leva ; il tenait le livre de Laclos et il avançait drôlement, en écartant les jambes. Dans son bureau, il bougonna :

— À Noisy vous serez plus tranquille. Ce Nancy, quel sale trou !

— En effet, murmura Grandgoujon.

Devant un supérieur, il n’osait plus guère ouvrir la bouche, mais, fort de l’assurance d’un départ prochain, il se sentit du courage. L’autre n’avait pas l’air mauvais. Et Grandgoujon risqua :

— Pourriture ces Roches ! S’attaquer à une ville sans défense !

— Oui… ça c’est une autre question, grogna l’autre qui avait refourré son nez dans les Liaisons dangereuses. Ne vous lancez pas dans la philosophie, allez ; vous êtes convoyeur : restez-le.

Cette réponse remettait Grandgoujon à sa place, comme toutes celles subies depuis deux jours. Vexé, il entrevit cruellement l’inanité de son voyage. On l’envoyait : on le renvoyait. Il couvrit cet officier d’un regard hostile, et il souffla mé-