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GRANDGOUJON

— Si… descendons… Pour toi, j’aime mieux…

Mais ils laissaient passer les civils qui s’écrasaient sans vergogne ; et, sur les marches de pierre de l’escalier souterrain, on entendait les pieds dégringoler en cascade.

Grandgoujon, soldat, ne pouvait faire moins que les officiers. Il fit plus, puisqu’après les civils il les laissa passer ; et transpirant d’effroi il fut bon dernier à se réfugier dans le sous-sol.

Enfin, lui aussi se trouva au milieu des barriques et du charbon ! Le patron expliquait : « Ici, rien à craindre… quarante centimètres de voûte. » Il comprit que même si Nancy n’était plus qu’une bouillie de ville, lui serait sauvé : il respira.

Et tous ces voyageurs qui s’étaient marché sur les pieds pour descendre, retrouvèrent, parmi les bouteilles, en cette atmosphère protectrice, leurs attitudes bien éduquées : « Pardon, Madame… Excusez, Monsieur… » Les femmes, surprises dans leur négligé de nuit, baissaient les yeux comme si cette modestie empêchait les hommes de remarquer que la plupart étaient médiocres sans fards ni chichis. Un monsieur à côtelettes grelottait dans un pyjama ; et un vieillard, pieds nus dans ses pantoufles, marmonnait :

— On n’entend plus rien ?…

C’est alors qu’un gros homme s’avança, qui dit, d’un ton rauque :

— On n’entend plus !… On entendra !… Ça va recommencer… Les cochons !… Moi, je représente les vins, des vins français, mais je ne me