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GRANDGOUJON

au lieu de faire œuvre utile, à sa place, à son heure… Quelle brute, ce Creveau ! Et Grandgoujon devenait haineux.

Il se leva, flâna dans le hall, puis il entendit la domesticité prévenir : « Messieurs et dames, neuf heures : extinction des lumières. »

Comme tout le monde, il remonta. Indisposé par la solitude de sa chambre dans ce pays dangereux, il se coucha vite ; dans ses draps, il regarda murs et plafond ; et il lui vint l’idée nette d’un obus crevant l’hôtel et le pulvérisant au passage, avec violence et simplicité. Mais cette hallucination le fatigua et l’endormit.

Nom d’un chien ! Tout à coup, dans son lit, il fut dressé sur son séant par une détonation tragique. Il haleta : « Ça y est ! », mais il était vivant dans une chambre intacte. Aussi, déjà se refourrait-il sous sa couverture, lorsqu’une sonnerie le fit sauter. Le téléphone ! L’alarme aux voyageurs ! En même temps il fonctionnait dans toutes les chambres. Grandgoujon empoigna l’appareil, et, d’une voix qui tremblait :

— Allô, allô… Qui est là ?

Pas de réponse : c’étaient les Boches. Ensemble, tous les timbres de la maison grelottaient. Affolement électrique. Le patron appuyait sur tous les boutons que rencontraient ses mains ; et tout l’hôtel se rua vers l’escalier.

À l’entrée de la cave, derrière l’ascenseur, le patron, pâle, faisait signe : « Entrez vite ! »

Quelques officiers, de peur qu’on ne les jugeât inconsidérément, disaient à leurs femmes :