Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
150
GRANDGOUJON

à Grandgoujon l’événement en des termes qui l’eussent fait sourire si, à l’idée de ces obus écrasant des maisons, sa sensibilité ne s’était pas hérissée. Quand il eut quitté le porteur, au garçon des Deux Amériques il demanda en haletant :

— Il paraît que tantôt ?…

Car il voulait une seconde édition de l’histoire : il n’était plus capable de penser à rien d’autre, même à Nini ou à Madame des Sablons. Il ne songea qu’une seconde à elles deux, et il se dit : « Les femmes ne se doutent pas !… »

Puis, tout haut, pour se rassurer :

— Dans l’hôtel, y a-t-il du monde ?

— Bondé, Monsieur, reprit le garçon. À droite de vous, un colonel.

Était-ce dans son esprit une sécurité ?…

Grandgoujon fut conduit dans une chambre qui lui parut froide et vide. Mais il descendit dîner : la tiédeur de la salle, qui était pleine, et le repas délicat, apaisèrent ses appréhensions.

— Personne n’a l’air inquiet, se dit-il. C’est fini… Je l’ai échappé belle !

Il commanda une bonne bouteille. Et, lorgnant sa voisine de table, il évoqua, cette fois, d’agréables scènes dans l’appartement au-dessus du sien. Il se murmura en mangeant :

Les femmes sont sur la terre
Pour tout idéaliser…

Seulement… ce sacré Colomb traînait sans doute encore là-bas !… Dieu ! Porter une girouette,