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GRANDGOUJON

dont un désir subit ranima tout le visage. Tu sais où il y a des restaurants ?… C’est que je ne suis pas auxiliaire pour rien. Il me faut une nourriture soignée.

— T’en fais donc pas, dit Chabrelot. Avec Chabrelot y a jamais à s’en faire ! On va prendre la grande rue, et bouffer au Lapin blanc. Pour cinquante sous on aura un potage avec des oignons, quèque chose de bath ; deux plats d’viande, pas des portions, des plats, et t’en r’prendras c’que t’as besoin ; un légume ; du fromgi ; un dessert ; des gâteaux… et l’vin compris, à discrétion, pour cinquante sous : c’est une affaire. Moi, j’suis bistro : et quoique j’fasse pas l’restaurant, jamais, mais jamais j’voudrais donner ça pour cinquante sous… même soixante !… parce que ça vaut au moins trois francs ! Tu vas voir si on s’en fout plein la lampe !… Enfin, c’t’un restaurant : on n’est pas estropié !

Cette tirade prometteuse accusa le penchant vague encore de Grandgoujon pour Chabrelot, forte nature populaire. Il le suivit donc en disant :

— Mon vieux, je suis à toi comme la perdrix est au choux !

Mais quand il le vit se diriger vers les Messageries, il se permit de remarquer :

— Dans les gares, on ne sort donc jamais… par la porte ?…

— Dame, t’es-t-il soldat ?

— Je ne suis pas dans une caserne.

— Ah !… t’as des raisonnements !… T’sais pas qu’dans c’métier-là, à tout c’que tu d’mandes on