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GRANDGOUJON

cratie, auxquelles il avait cru, comme tous les hommes qui aiment le bonheur et la liberté, n’étaient que des blagues décevantes. Incurie ou égarement. Faire porter une girouette par un avocat à la Cour ! N’était-ce pas formidable ?

Pendant dix heures le wagon roula.

Au petit jour, Grandgoujon, grelottant, calcula d’après les pronostics de son étrange compagnon, qu’on aurait dû être arrivé depuis huit heures au moins. Le train pénétrait dans une gare. Châlons !… Seulement !

L’autre s’éveilla et jura :

— Bonsoir d’bon Dieu ! J’sens pus mes pieds ! J’ai des g’noux d’bois !

Ils descendirent.

— Ici, déclara Chabrelot, quatre heures d’arrêt : l’train va s’garer. Et nous, dare dare on va se f… dans les cabinets !

Prestement, Grandgoujon l’y suivit, croyant échapper à un danger que seul l’autre avait vu. Mais quand ils y furent :

— Qu’est-ce qu’il y a donc ? demanda-t-il ahuri.

Bourrant sa pipe, Chabrelot répliqua :

— T’as pas vu l’commissaire ? Pas b’soin qu’il nous remarque.

— Pourquoi ?

— Tu crois qu’c’est du monde à fréquenter ?

Dix minutes ils demeurèrent dans ces lieux puants, puis ils se glissèrent dehors, et Chabrelot dit :

— Maintenant, en ville ! Et à la soupe !

— Ah ! Ah ! la soupe ! Enfin ! dit Grandgoujon