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GRANDGOUJON

nement ! Et c’est sur elle que l’autre s’était extasié. Alors, en parisien, il glissa, mais plein de mépris :

— Qué panouille ! Viens-t’en voir chez l’bistro, qu’on délaye ta bêtise !

— Il y a des sentinelles, objecta Grandgoujon.

— Allez, allez, fit Chabrelot, amène !

Et ils enjambèrent des fils de fer et des rails. Chabrelot disait :

— C’est indispensable, quand on fournit un travail comme nous fournissons, de s’caler du chaud dans l’gésier ! J’leur donne ma graisse, mais pas les os !

D’avance, Grandgoujon le voyait foncer contre quelque représentant de la consigne. Par bonheur, au hangar des colis postaux, ils ne trouvèrent qu’une barrière ouverte. En face, un bistro, qui n’avait pas de café.

— Alors, chopine de blanc, ordonna Chabrelot.

On la monta de la cave : glacée. Ils sortirent l’estomac transi ; mais Chabrelot remarqua :

— Maintenant, va faire bon à se mettre en route.

Le voyage fut sans incidents. Après que Chabrelot eût dit : « Cochon d’métier ! J’ferme jamais l’œil dans leurs cochons d’fourgons ! », il se roula dans sa couverture, s’allongea sur le plancher, et ronfla telle une toupie, — une toupie qui ne s’arrête plus de ronfler. Grandgoujon, debout, tapait du pied pour s’échauffer, et l’enviait. Puis, la nuit venue, il se tapit, à son tour, dans un coin du wagon, mais le froid l’empêcha de dormir, et il analysa sa détresse. La République et la Démo-