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GRANDGOUJON

Grandgoujon, hagard, paraissait avoir échappé à un déraillement. Son âme qui, déjà, n’était ni légère, ni ailée, s’affaissa encore. Il n’eut la force de ruminer que cette pensée morne :

— Quelle misère de métier !… Et les Boches en ont fait leur gloire nationale ! Peuple de brutes !

Une lourde main lui pesa sur l’épaule :

— T’es convoyeur ?

L’homme qui l’abordait était soldat aussi, gros comme lui, mais doté d’une face commune et de deux mains épaisses, émergeant d’une capote gondolée par les pluies. Il fit des grâces :

— Salut, mon prince ! Vous présente Chabrelot, trente-huit ans, cafetier rue de Belleville. J’porte de la camelote à Nancy.

— Moi aussi, dit Grandgoujon, encore inquiet.

— C’est l’convoi pépère. On part dans une heure : on arrive dans six.

Un employé passait.

— Eh ! boîte à serins, quand c’est-il pour Nancy ?

— Dans la soirée, quand on pourra…

— Alors, fit Chabrelot, on va s’chauffer les ribouis dans la cambuse à l’aiguillage. Avec Chabrelot, y a pas à s’en faire !

— Ça, je sais, dit machinalement Grandgoujon, qui avait entendu la veille ces mots dans la bouche de Quinze-Grammes.

— Bonjour, père Chirousset ! dit Chabrelot, à un petit vieux sur le seuil d’une cabane.

Grandgoujon, heureux comme chaque fois qu’on le repêchait, dit :