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GRANDGOUJON

— C’est malheureux d’en voir des comme ça, pis d’autres à côté qu’ont tout ce qui leur faut !

Il n’était plus patient, Grandgoujon ; il prit la mouche :

— Qu’est-ce qui est malheureux, Madame ?

La buraliste demanda :

— Militaire, où allez-vous ?

— Noisy.

Mais tourné vers l’autre femme :

— J’en ai soupé, moi, d’être traité comme je ne mérite pas de l’être !

— Eh ! là ! N’ai pas de monnaie, cria la buraliste.

— Voici !

Et l’autre avait beau s’esquiver, il la poursuivit de ces mots vengeurs :

— Si vous aviez été un homme, Madame, je ne sais pas ce que vous auriez fait !

Puis il courut à son train, et grimpa dans un compartiment de troisième, à la suite d’un poilu qui criait d’une voix mauvaise :

— Ils la veulent la révolution ! Ils l’auront la révolution !

Et jusqu’à Pantin, cet homme expliqua à Grandgoujon :

— J’sors de l’hospice aux fous, comprends-tu ! Je m’baguenaudais en aréo, mais j’ai chuté de cent mètres, comprends-tu ! Alors, dans ma boussole, ça va, ça vient, pis ça r’vient… et ça n’va pus, comprends-tu !

À Pantin, le train eut à peine stoppé qu’il sor-