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GRANDGOUJON

homme ! Et tu es français ! Tu n’as pas le droit de te laisser abattre…

— Oh ! mais je te demande pardon, dit Grandgoujon, se trémoussant, j’ai le droit de me laisser abattre, si je veux me laisser abattre !…

Et postillonnant, il continua :

— J’en ai assez d’être traité comme un gosse !

— Alors !…

Colomb eut un geste de désespoir, puis se ressaisissant :

— Si je m’engage, moi, si je prends la responsabilité, moi, de te faire utiliser ?…

Grandgoujon était trop essoufflé pour continuer sur le mode furieux. D’autre part, son brave cœur, faible et toujours avide d’une espérance, hésita encore devant cette promesse renouvelée d’un ami, vers lequel il ne désirait qu’aller en confiance. Bref, il ronchonna entre ses dents :

— Tu as beau dire, va…

— Qu’est-ce que j’ai beau dire ?

— La France est dans une purée !

Colomb tapa du pied :

— Ne nous sors pas de sottises !

— Des sottises ? dit Grandgoujon, quand nos chers amis les Russes…

— Eh bien ?

— Sont en pleine marmelade !

— Et après ?

— Des lascars qui devaient être en 1914 à Berlin !…

— Et encore ?

— Ça ne te suffit pas ?