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GRANDGOUJON

une haleine coléreuse et enflammée sur le chat qui s’accrochait des griffes à sa manche.

À cent mètres de chez lui, une voix le héla. — Colomb. — Encore ! Il tombait bien ! C’était de lui l’idée d’aller chez ce dangereux personnage ! Il le couvrit tout de suite d’un regard accusateur ; et il était démangé aussi par l’envie de lui dire :

— Animal !… Tu sors de chez elle ?

Colomb ne lui en laissa pas le temps. Avec feu, il cria :

— Des Sablons est rentré. Monte le voir. Il a eu hier un triomphe ! Toute la salle debout. Aussi, je lui organise une grande machine à Paris, présidée par un ministre, avec musique de la Garde, et quête monstre pour nos œuvres.

En disant « nos œuvres », il montrait une liasse d’enveloppes dans sa main : son courrier ! Et il ne voyait même pas que Grandgoujon tournait la tête.

— J’ai dix affaires en train ! Je viens de négocier une commande de savon avec Marseille, pour mes mutilés. Prix étonnants. Et le sucre ! Quelle histoire ! Je disais hier à un député : « Chassez de France quatre cent mille étrangers : vous aurez quatre cent mille kilos de sucre ! » Pas vrai, ça ?

Il s’était planté devant Grandgoujon.

— Oui… oh ! ce qui est encore plus vrai, grogna ce dernier, qui toujours détournait la tête, c’est que je m’en fous, et même m’en contrefous, parce que, moi, mon vieux, je pars pour le front !

— Le front ?