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GRANDGOUJON

de la vie, sa mine impayable, un visage rond, heureux, rasé, uni, dont les yeux bienveillants avaient l’air de clignoter de plaisir.

Il était si attachant que par un après-midi de chaleur torride, les examinateurs en droit qui n’avaient qu’une idée : aller boire frais, se décidèrent à le nommer licencié.

Sa mère, d’avance, préparait son cœur à l’émotion :

— Quand tu plaideras aux Assises, je veux être là.

Mais sitôt accepté par les hommes de la Justice, il entra chez Maître Creveau, un des pontifes de la parole, seigneur d’une autorité qui lui en imposa au premier jour, et de qui il devint l’esclave, d’une soumission admirative, suant pour lui plaire, portant sa serviette lorsqu’il courait plaider.

D’abord, les plaidoiries de ce potentat le transportèrent. Il raconta chez lui : « Celui-là, sérieusement, c’est un type formidable ! » Et sa mère, à l’entendre, changea sa formule :

— Si un jour il plaide aux Assises, tu me fais signe.

Seulement, le « patron » plaidait surtout de bonnes affaires profitables, luttes acharnées entre fripouilles, dont, sans scrupule, il choisissait la plus donnante, pour écraser la plus rapace. La nature honnête de Grandgoujon aurait dû être bouleversée par ces manœuvres ; mais il était trop badaud pour être clairvoyant. Une à une les impressions l’agrippaient. Dans les couloirs et