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GRANDGOUJON

— À moins qu’il ne vienne s’excuser ? Hein ?… Quoi ?… Qu’est-ce qu’il dit ?… Il veut se battre ?… Il vient demander à se battre ?… Il tient enfin à y aller, comme les autres, et à y laisser sa peau ?… Ah !… si c’est ça, qu’il entre !

Et c’est lui qui sortit dans l’antichambre.

Il s’avançait, les mains aux poches, ses pieds traînant dans des savates, — sans col, le gilet ouvert sur la patte de chemise qui passait, — et la lèvre pendante, bridant l’œil, au nez de Grandgoujon qui tenait son képi à deux mains, ne trouvait pas un mot, était ahuri et soufflait, il dit :

— Alors ?… Quoi donc, mon vieux ? Ça vous dégoûte d’être embusqué ? Mais personne ne vous y force !… Voilà trente mois que vous vous terrez comme un galeux ! Tous vos amis, cependant, ont passé l’arme à gauche. Ça ne vous a pas retourné les tripes, ce spectacle ? Vous connaissiez mon cousin : une marmite lui a crevé la tête comme un œuf. Mon neveu ? Il a été coupé en trois ! Ah ! il est temps que vous les remplaciez ! Un peu de plus, Monsieur attendait la paix !

Il balançait la tête, écœuré :

— Enfin… vous aurez le temps de vous faire esquinter tout de même, parce que la paix, j’en parle, mais ce n’est pas pour maintenant : aucune illusion ! Je vous vois rouler des yeux de convoitise, du fait que je sors un mot qui constitue le meilleur de vos espoirs bourgeois… Utopie ! La paix, vous pouvez vous fouiller, et ce que je vous dis là, c’est le Gouvernement qui le dit, car je le vois et l’approche. D’ailleurs, puisque votre