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GRANDGOUJON

n’ont plus de graisse. » Si c’est vrai, il y a de l’espoir… mais au cas où ça ne serait pas… j’irai voir Moquerard demain, et… nom d’une pipe ! la pendule marche ? Il faut encore que je parte !

— Ton dessert ?

Il eut un dernier éclat :

— Est-ce que les soldats ont du dessert ?

Puis, brusquement :

— Au revoir !

En tempête il passa devant la concierge ; elle fut aise qu’il repartît si précipitamment.

— Dieu que je sue ! murmurait-il. Si ce n’est pas malheureux de suer comme je sue !

Il arriva dans une caserne noire, traversa une cour noire, atteignit à tâtons une chambrée noire. Pas de Quinze-Grammes. Il se jeta sur une paillasse, au hasard, s’enveloppa d’une couverture qui avait une dégoûtante odeur, et solitaire, malheureux, pelotonné sur sa détresse, il s’endormit pourtant, puis ronfla.

Dès le petit jour il fallut reprendre la vie humiliante de la veille. Appels, corvées, appels, balayage, appels, et les pommes, — l’impression qu’on traîne une âme qui pèse des kilos ; l’air irrespirable, on bâille, on est mené, on ne se sent plus le goût de vivre. Seulement, grâce à Quinze-Grammes, il y a moyen de franchir les portes.

— Ah ! tu veux revoir Moquerard ? dit-il à Grandgoujon. Vous m’avez l’air d’êt’e deux cocos à vous plaire ensemble. J’te l’avais dit qu’c’était un as !