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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

lade ? Avez-vous bu ? Ah ! mon vieux, il faut faire attention ! Si vous n’en avez pas conscience, c’est grave ! J’ai lu ça et je reste effaré.

Il dit si brutalement ce qu’il a senti qu’il en est lui-même un peu pâle.

— En tout cas, il n’y a pas deux choses à faire. Vous allez immédiatement me f… ça dans le feu !

Les hommes de mon âge, comme leurs aînés, n’ont en personne un conseiller plus rude, plus vrai, plus inspiré qu’Antoine. Tous le sentent, mais la vanité chez beaucoup se rebiffe, et plutôt que d’avouer leurs faiblesses, ils disent qu’Antoine est « exagéré ». Parbleu ! Peut-il avoir les mots et les gestes du vulgaire ? Antoine est un orage tonnant sur le théâtre. Gare aux âmes timorées ! Depuis trente ans, il fonce, menaçant, plein de passions. Il force, emporte, passe, et le ciel après lui, s’ouvre frais et plus clair. Quand la vie quotidienne, banale, avec ses imbéciles et ses mensonges, ses livres sans objet et ses journaux prévus, me pèse trop aux épaules, je sens le besoin de