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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

qu’on croit, où les saules, les oliviers, les chênes-cèdres, l’herbe, les rochers, l’air même, vibrant dans la chaleur, n’offrent à l’œil que des gris délicats, elles font un horizon bleuté, bucolique et virgilien. Les toits des mas, brûlés de soleil, sont en tuiles d’un rose doux ; et les moulins de Daudet qui, sur la colline, se disputent à trois l’honneur de l’avoir abrité, quand il écrivait sous le nez des lapins, dans un rayon de lune, ses contes de poète, — les moulins lézardés et sans ailes à présent sont la seule émotion de ce pays spirituel.

L’erreur des étrangers pressés, qui parcourent le Midi, c’est d’y chercher partout des effets grandiloquents dans une nature violente. L’antique Provence, qui fut toujours la terre des idées subtiles et des mœurs raffinées, n’est pas un pays clinquant et tapageur. Regardez le Rhône, en sa force, comme sa couleur est sobre. Admirez cette ville d’Arles, vers laquelle Frédéri galopait, le cœur en détresse ; dès qu’il en voyait monter les clochers roux, il arrêtait son cheval, et la vision,