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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

et mettrons de côté d’avance la somme fixée pour dire ce qui est vrai.

Car il est toujours utile de le dire. On le voit mieux aujourd’hui que le film de l’Arlésienne est enfin projeté.

Il a mis dix-huit mois à sortir ; il est pitoyable. Pourquoi ? Reportez-vous à mon récit. Je vous ai peint les gens qui « tournent » pour le cinéma. Il y en a d’autres : ceux qui font tourner : ils sont aussi malfaisants.

Antoine, metteur en scène, était parti là-bas plein d’allégresse. Il avait établi son scénario en grand artiste. Ayant relu Daudet avec une diligence fiévreuse, il en avait tiré ce qui lui semblait matière à poétiques illustrations. Il prend le train ; il a en tête toutes ses images ; bien mieux : les titres qui seront projetés et qu’il a pris dans Daudet même, choisissant les phrases les plus parfumées par le vent du Rhône.

Après une lutte de trois semaines, il réalise une belle chose. Anxieux surtout de donner au drame pastoral de Daudet une atmosphère, c’est elle qu’il a cherchée passionnément, à Arles, au Castelet, dans la Camargue. Pour remplacer le dialogue poétique, tendre ou poignant, ne disposant que d’un art muet, il a voulu tout suggérer par le spectacle des choses : ici, les mœurs louches de l’Arlésienne par sa ruelle crapuleuse ; là l’honnêteté d’une