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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

Il ne trouvait pas d’épithète. Alors, il s’est écrié de nouveau :

— … Un livre infâme ! En voici un extrait où il dit… que vous dormez tous !!!

Ah ! il n’a pu le lire son extrait ! Un rire homérique a répondu. Cinquante avocats étaient là qui éclataient : un des trois magistrats, celui qui siégeait à droite du Président, était parti pour le pays des rêves ! Il l’était si bien que ce petit scandale ne l’éveilla même pas. Enfin, me désignant toujours, cet orateur, prenant à témoins le Ciel et la Civilisation, soupira :

— Comment, à notre époque, un homme a-t-il pu écrire sur une femme des choses semblables !

À notre époque !… À moi d’étouffer. Et voilà Fayard près de moi, Fayard, qui est un joyeux vivant, pris de la même gaîté. Cet « à notre époque » est grand comme tout le monde. Sublime adversaire ! Il venait de trouver, sous la forme la plus comique, l’argument le plus précis contre sa cliente. Elle pouvait le remercier par des bonbons pralinés ! Il avait mis dans le mille, donnant aux juges le spectacle du ridicule démagogique avec lequel je m’efforce d’égayer mes contemporains. À notre époque ! Cela veut dire : « Grâce à ce large esprit humanitaire, qui a tout mêlé, tout brouillé, nous vivons