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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

humeur, il est inoubliable d’ardeur saine, et de joie devant les promesses du lendemain.

— Vous allez voir, mon vieux, dit-il d’une voix de gorge où s’entend un ronronnement de plaisir, vous allez voir cette chose épatante… je ne dis pas qu’on peut faire… mais qu’on devine, qu’on approche, et qu’il faut du moins indiquer à ceux qui nous suivront. Dame, c’est la lutte, la belle lutte ! D’abord avec l’argent, et celle-là, je commence à y être rompu : toute ma vie s’est passée dans l’ombre des huissiers. On me donne cent cinquante mille francs pour tourner L’Arlésienne ; en Amérique, j’aurais deux millions et ce ne serait pas trop ! Nous étions prévenus ; en France c’est toujours avec cette largeur de vues qu’on aborde une grosse affaire. Mais il y a mieux : il y a la lutte… avec tous les humains ! Il faut bien vous mettre en tête que je suis un intrus, moi, au cinéma, un monsieur qui n’a pas appris le « métier », c’est-à-dire ne s’est pas assimilé les bonnes petites recettes par lesquelles, à tous coups, sur com-