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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

nuage qui passe. J’ai l’habitude de me servir de ma plume pour énoncer ce que je pense, sans timidité. Ma tête aussi paraît ridicule à certains : Je la risque tout de même, ne pouvant offrir mieux. Pourquoi aurais-je peur des mots qui disent mes convictions ?

Un jour, le fils d’Antoine, qu’on appelle Jambonneau, pour des raisons lointaines et oubliées (mais le nom reste, et il est d’une drôlerie sympathique comme celui qui le porte), un jour, Jambonneau m’a dit avec confiance, tendresse, piété :

— N’est-ce pas… que mon père est un grand bonhomme ?

Jambonneau, vous pouvez supprimer de votre phrase le point d’interrogation. Ce que vous avez dit là est vrai, comme de constater que la vie, avec ses douleurs, ses joies, ses fatalités, est belle pourtant à qui sait la comprendre. Antoine, sceptique et crédule, rieur ou furieux, brutal puis craintif, cruel mais indulgent, toujours riche malgré ce qu’il donne, toujours jeune malgré son âge,