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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

Antoine. Une salle pleine tous les soirs ; il continue de jouer ses auteurs, quand, un jour, il s’aperçoit qu’au lieu d’inventer, il recommence, et que lui, l’homme aux huissiers, il a dans Paris la réputation de gagner de l’argent. Aussitôt, il se regarde dans sa glace : « Qu’est-ce que je fabrique ici ? » Il a fait surgir une nouvelle génération dramatique : qu’elle travaille ; lui a soif de chefs-d’œuvre. Le grand répertoire le fascine : Shakespeare, Molière, Gœthe. Il veut les monter sur une grande scène ; il lui faut l’Odéon. Clemenceau arrive au pouvoir : il l’obtient. Il y entre avec la jeunesse de sa foi. Il y travaille tel un cheval ; y fait d’admirables choses, lesquelles restent un enchantement pour la mémoire des hommes qui les ont vues sans fiel ni parti pris ; et il s’endette, se ruine, est forcé de démissionner puis de fuir. La guerre éclate. Il la vit avec tout son cœur, plein de contradictions fougueuses, ainsi que tous les rares hommes vrais, qui ne posent pas pour la galerie. Un de ses fils est tué,