Page:Benjamin - Antoine déchaîné, 1923.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
ANTOINE DÉCHAÎNÉ

rés. On le sent capable de la tuer. Brusquement, il l’empoigne : une rage le tient. Elle ne pèse pas dans ses doigts ; il la fait tourner. Sa bouche est sur la sienne ; il aurait peut-être envie d’un baiser ; il crache une injure. Et, brutalement, il la jette dans le couloir de sa maison, où elle s’écroule à reculons.

La scène a été si violente, si passionnée, si belle, il s’y est montré si fort, si humain, si vrai, que le peuple, l’humble peuple ignorant, pris et bousculé malgré lui, a un « Oh ! » d’admiration, qui est un succès imprévu et touchant. Antoine en est ému. C’est une des minutes poignantes pour lesquelles il travaille. Il les guette, les chasse, et il les vit, comme un tireur, qui serre tout tiède en ses deux mains un oiseau merveilleux.

— Je vous dis que c’est le Napoléon du théâtre !

L’opérateur est ébranlé. Le régisseur affirme sentencieusement :

— Depuis vingt ans que je le connais, je l’ai rarement vu aussi beau !