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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

qu’il reçoit et lit. Il vous en passe une pile : « Asseyez-vous ! » À plus de soixante ans, il a la même ardente curiosité qu’à vingt-huit, quand il courait Paris, cherchant des pièces pour son Théâtre Libre. Il se dit toujours, un peu fiévreux, qu’il tient peut-être l’œuvre de talent… ou de génie. Il ne se lasse ni ne se blase. Presque tout est médiocre. Et après ? Il espère, même quand il dit : « Ah ! les salauds ! »

La preuve, c’est que pour parapher cette phrase, d’un geste plein de confiance il remonte son pantalon. Son pantalon ne tient pas à des bretelles : sujétion qui l’horripilerait. Il a des mains pour le remonter. Quelquefois aussi, il se roule autour des reins une ceinture rouge, une ceinture bizarre de figurant terrassier. La tenue d’Antoine est invraisemblable : elle n’appartient qu’à lui, comme ses gestes et ses idées. Quand il s’habille, il prend ce qui lui tombe sous la main. Je me figure que sa garde-robe est un magasin d’accessoires en désordre. Il puise au hasard. Et il dit : « Ça va !… Ça